Arrestation de Jouhaud
rideau

A la fin de l'interrogatoire, l'inspecteur de la P.J. avait demandé :
Mais, monsieur Gerbert, pourquoi vous a-t-on arrêté?
C'est une question que je désirais vous poser.
Je me le demande. C'est une erreur regrettable dont je m'excuse. Mais je vous prie de ne pas nous en tenir rigueur. Ces C.R.S. soupçonnent tout le monde. Je vais, du reste, vous faire rendre vos objets personnels et vous serez relâché dès demain.
Le général rejoint donc ses camarades d'infortune avec lesquels il partage sandwiches et vin rouge. Mais voici qu'on le rappelle bientôt au premier étage où il est mis en présence de deux chefs de la P.J. L'un va rentrer en France, l'autre vient d'arriver pour le remplacer. Les questions prennent un tour incisif. Il y a anguille sous roche, manifestement. Le général sent que les choses vont mal pour lui. En effet, l'un des commissaires semble absorbé par l'examen de la photographie d'un général d'aviation...
Vous ressemblez beaucoup, monsieur Gerbert, à un homme qui nous intéresse tout particulièrement.
L'interrogatoire reprend de plus belle. Inutile passe d'armes que le chef de la P.J. finit par balayer d'un geste d'impatience :
Pourquoi insister, mon général ? Regardez plutôt votre photographie. Si le bas de votre visage est parfaitement camouflé, le haut, malgré vos lunettes, vous trahit. Et, curieusement, un grain de beauté correspond fâcheusement au signalement du général Jouhaud. L'anthropométrie va le confirmer. Il n'y a plus rien à faire. Oui, je suis le général Jouhaud, chef de l'O.A.S. en Oranie. C'est tout ce que j'ai à dire.

Dans cet appartement du 8e étage du « Panoramic », le déjeuner s'achevait dans la bonne humeur. Sur la cheminée du salon trône un portrait du chef de l'O.A.S. pour l'Oranie, le général Edmond Jouhaud.
Pour l'heure, un solide sexagénaire à la longue moustache, au crâne rasé, est le centre de la conversation. Ce M. Gerbert parle des événements, non du bouclage lui-même. Ils n'ont aucune raison d'être inquiets. Ils savent...
Mais des craquements sinistres et significatifs résonnent dans les couloirs de l'immeuble. Les forces de l'ordre enfoncent les portes des appartements dont les propriétaires sont absents. On sonne chez Claude Raymond. Gerbert lui fait signe d'ouvrir. Ils ne craignent ni vérification d'identité ni perquisition. Ils ont de bons faux papiers et ne portent aucun document sur eux.
Seul Camelin s'impatiente. Il arrivera très en retard au rendez-vous de Roc. Or l'ancien chef de bataillon de la légion aime l'exactitude.
Mais voilà que l'un des convives, Jourdain, de Mostaganem, est trouvé porteur d'un permis de conduire non rempli. D'autre part, un C.R.S. découvre dans un paquet, fait avec du papier-journal, un million d'anciens francs en billets de banque neufs. Bizarre!... Il n'en faut pas plus pour embarquer tout le monde : Gerbert, Claude Raymond, Jourdain et... le docteur Sabatier (alias Camelin).

Qui a trahi le général ?
Personne. Il a été identifié par le fonctionnaire du greffe qui lui a rendu ses affaires personnelles. Arrivé depuis deux jours à Oran, il n'avait jamais vu le général, mais il connaissait son visage par coeur. En fait, un de ses amis, médecin à Clermont-Ferrand, le docteur G..., qui a servi dans le groupe du général en 1940, possède sa photographie dans son salon. Ils avaient souvent parlé du général Jouhaud. Avant de quitter la France, le policier était allé saluer son ami qui, lui montrant la photographie, lui avait recommandé d'ignorer le général si, éventuellement, le sort les mettait en présence. Très physionomiste, il a fait ce qu'il a cru être son devoir.
Dans la nuit, le général Jouhaud est dirigé, menottes aux mains derrière le dos, sur le corps d'armée. II marche en tête d'un dispositif de combat prêt à l'abattre s'il donne la moindre impression de vouloir fuir. Il entre ainsi enchaîné dans la citadelle où, trente-huit ans auparavant, il avait pénétré pour la première fois afin de signer son contrat d'engagement avant d'entrer à Saint-Cyr.
Nouvelles formalités de greffe : fouille minutieuse, empreintes digitales, dossier.
Enfermé dans une chambre que garde une section d'hommes en armes, dont des parachutistes, le général est laissé enchaîné. Il verra passer, les uns après les autres, Camelin, Jourdain, Claude Raymond...
Vers 3 heures du matin, il est jeté au fond d'un blindé que suit un convoi d'automitrailleuses et de chars légers, protégé par un détachement d'infanterie. A l'aérodrome de La Senia, un Nord-2500 attend l'ancien chef de l'armée de l'air qui va effectuer, enchaîné, son dernier vol sur avion militaire.
Du printemps oranais, le général passe sans transition à un froid hivernal très vif. Accueilli à Villacoublay par une puissante escorte, il est dirigé sur la Santé. Le général Jouhaud, grand officier de la Légion d'honneur, n'est plus que le matricule 66985.

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